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suivies par le peuple juif ; c’est même si peu une codification que les différentes parties dont il est composé semblent n’avoir pas été rédigées à la même époque. C’est avant tout un résumé des traditions de toute sorte par lesquelles les Juifs s’expliquaient à eux-mêmes et à leur façon la genèse du monde, de leur société et de leurs principales pratiques sociales. Si donc il énonce certains devoirs qui certainement étaient sanctionnés par des peines, ce n’était pas qu’ils fussent ignorés ou méconnus des Juifs ni qu’il fût nécessaire de les leur révéler ; au contraire, puisque le livre n’est qu’un tissu de légendes nationales, on peut être assuré que tout ce qu’il renferme était écrit dans toutes les consciences. Mais c’est qu’il s’agissait essentiellement de reproduire en les fixant les croyances populaires sur l’origine de ces préceptes, sur les circonstances historiques dans lesquelles ils étaient censés avoir été promulgués, sur les sources de leur autorité ; or, de ce point de vue, la détermination de la peine devient quelque chose d’accessoire[1].

C’est pour la même raison que le fonctionnement de la justice répressive tend toujours à rester plus ou moins diffus. Dans des types sociaux très différents, elle ne s’exerce pas par l’organe d’un magistrat spécial, mais la société tout entière y participe dans une mesure plus ou moins large. Dans les sociétés primitives, où, comme nous le verrons, le droit est tout entier pénal, c’est l’assemblée du peuple qui rend la justice. C’était le cas chez les anciens Germains[2]. À Rome, tandis que les affaires civiles relevaient du préteur, les affaires criminelles étaient jugées par le peuple, d’abord par les comices curies et ensuite, à partir de la loi des XII Tables, par les comices centuries ; jusqu’à la fin de la république, et quoiqu’en fait il eût délégué ses pouvoirs à des commissions permanentes, il reste en principe le juge suprême

  1. Les seules exceptions véritables à cette particularité du droit pénal se produisent quand c’est un acte de l’autorité publique qui crée le délit. Dans ce cas, le devoir est généralement défini indépendamment de la sanction ; on se rendra compte plus loin de la cause de cette exception.
  2. Tacite, Germania, ch. XII.