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n’avons pas pour l’homme qui trahit sa pairie au moins autant d’aversion que pour le voleur et l’escroc ? Est-ce que, dans les pays où le sentiment monarchique est encore vivant, les crimes de lèse-majesté ne soulèvent pas une indignation générale ? Est-ce que, dans les pays démocratiques, les injures adressées au peuple ne déchaînent pas les mêmes colères ? On ne saurait donc dresser une liste des sentiments dont la violation constitue l’acte criminel ; ils ne se distinguent des autres que par ce trait, c’est qu’ils sont communs à la grande moyenne des individus de la même société. Aussi les règles qui prohibent ces actes et que sanctionne le droit pénal sont-elles les seules auxquelles le fameux axiome juridique nul n’est censé ignorer la loi s’applique sans fiction. Comme elles sont gravées dans toutes les consciences, tout le monde les connaît et sent qu’elles sont fondées. C’est du moins vrai de l’état normal. S’il se rencontre des adultes qui ignorent ces règles fondamentales ou n’en reconnaissent pas l’autorité, une telle ignorance ou une telle indocilité sont des symptômes irrécusés de perversion pathologique ; ou bien, s’il arrive qu’une disposition pénale se maintienne quelque temps sans qu’elle soit contestée de tout le monde, c’est grâce à un concours de circonstances exceptionnelles, par conséquent anormales, et un tel état de choses ne peut jamais durer.

C’est ce qui explique la manière particulière dont le droit pénal se codifie. Tout droit écrit a un double objet : prescrire certaines obligations, définir les sanctions qui y sont attachées. Dans le droit civil, et plus généralement dans toute espèce de droit à sanctions restitutives, le législateur aborde et résout séparément ces deux problèmes. Il détermine d’abord l’obligation avec toute la précision possible et c’est seulement ensuite qu’il dit la manière dont elle doit être sanctionnée. Par exemple, dans le chapitre de notre Code civil qui est consacré aux devoirs respectifs des époux, ces droits et ces obligations sont énoncés d’une manière positive ; mais il n’y est pas dit ce qui arrive quand ces devoirs sont violés de part ou d’autre. C’est ailleurs