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contestée. Examinons quelques-unes des résistances que soulève, quand il l’énonce, la proposition de Durkheim.

On entend d’abord la protestation qu’on peut appeler universaliste ou humaniste. Elle fera grief à la sociologie d’encourager un nationalisme étroit, voire d’immoler les intérêts de l’humanité à ceux de l’État, bien plus même, aux intérêts d’un régime politique. Au cours de la guerre, on a souvent opposé l’éducation germanique à l’éducation latine, celle-là purement nationale et tout au bénéfice de l’État, celle-ci libérale et humaine. Sans doute, a-t-on dit, l’éducation élève l’enfant pour la Patrie, mais aussi pour l’Humanité. Bref, de diverses manières, on établit un antagonisme entre ces termes : éducation sociale, éducation humaine, société et humanité. Or la pensée de Durkheim plane bien au-dessus d’objections de ce genre. Il n’a jamais eu l’intention, comme éducateur, de faire prévaloir les fins nationales sur les fins humaines. Dire que l’éducation est chose sociale, ce n’est pas formuler un programme d’éducation ; c’est constater un fait. Durkheim tient ce fait pour vrai, partout, quelle que soit la tendance qui prévaut, ici ou là. Le cosmopolitisme n’est pas moins social que le nationalisme. Il y a des civilisations qui poussent l’éducateur à mettre sa Patrie au-dessus de tout, d’autres qui le poussent à subordonner les fins nationales aux fins humaines, ou mieux, à les harmoniser. L’idéal universaliste est lié à une civilisation synthétique qui tend à combiner toutes les autres D’ailleurs, dans le monde contemporain, chaque nation a son cosmopolitisme, son humanisme propre, où se reconnaît son génie. Quelle est, en fait, pour nous, Français du xxe siècle, la valeur relative des devoirs envers l’Humanité et des devoirs envers la Patrie ; comment peuvent-ils entrer en conflit ; comment peut-on les concilier ? Nobles et difficiles questions, que le sociologue ne résout pas, au profit du nationalisme, en définissant, comme il le fait, l’éducation.