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laquelle il lui faut construire à nouveaux frais. Il faut que, par les voies les plus rapides, à l’être égoïste et asocial qui vient de naître, elle en surajoute un autre, capable de mener une vie morale et sociale. Voilà quelle est l’œuvre de l’éducation. » L’hérédité transmet les mécanismes instinctifs qui assurent la vie organique et, chez les animaux qui vivent en sociétés, une vie sociale assez simple. Mais elle ne suffit pas à transmettre les aptitudes que suppose la vie sociale de l’homme, aptitudes trop complexes pour pouvoir « se matérialiser sous la forme de prédispositions organiques ». La transmission des attributs spécifiques qui distinguent l’homme se fait par une voie qui est sociale, comme ils sont sociaux : c’est l’éducation.

Pour l’esprit exercé à regarder les choses de ce biais, cette conception sociologique de la nature et du rôle de l’éducation s’impose avec la force de l’évidence. Durkheim l’appelle : un axiome fondamental. Disons plus exactement : une vérité d’expérience. Nous voyons clairement, quand nous pensons en historien, que l’éducation à Sparte, c’est la civilisation lacédémonienne faisant des Spartiates pour la cité lacédémonienne ; — que l’éducation athénienne, au temps de Périclès, c’est la civilisation athénienne faisant des hommes conformes au type idéal de l’homme, tel que le conçoit Athènes à cette époque, pour la cité athénienne et, en même temps, pour l’humanité, telle qu’Athènes se la représente dans ses rapports avec elle. Il nous suffit d’anticiper sur l’avenir pour comprendre comment les historiens interpréteront l’éducation française au xxe siècle : même dans ses tentatives les plus audacieusement idéalistes et humanitaires, elle est un produit de la civilisation française ; elle consiste à la transmettre ; bref, elle cherche à faire des hommes, conformes au type idéal de l’homme qu’implique cette civilisation, à faire des hommes pour la France, et aussi