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LE MARCHAND DE ZAMORA.

nées, je ferais, au hasard, le récit d’une seule. On peut appliquer aux hommes ce que l’on a dit des peuples : leurs désastres sont bruyants, leurs prospérités silencieuses : aussi les plus courtes histoires sont celles des peuples les plus heureux.

« Je sortais rarement, je ne fréquentais personne ; cependant, le ciel en soit loué ! j’avais toujours chez moi nombreuse compagnie : c’était les acheteurs.

« À cette époque, un nommé Gavino vint loger en face de ma demeure. Ayant pour revenu trois cents piastres bien comptées, il vivait dans l’oisiveté ; elle était même pour lui le résultat d’un système ; il prétendait que les plantes offrant dans la nature l’existence la moins tourmentée précisément parce qu’elles sont privées de toute action, il fallait leur ressembler le plus possible. Un peu de promenade, c’est tout ce qu’il se permettait. Après nous être d’abord salués, nous avions échangé quelques paroles. Quand je l’eus une fois prié d’entrer dans ma boutique, la politesse l’y ramena, puis l’habitude, bientôt enfin ce fut l’amitié.

« Un jour il me parut rêveur. — Qu’est-ce ? lui dis-je. — J’ai besoin de vous parler. — Faites ; notre voisinage est presque une parenté. — Faut-il vous l’avouer ? la solitude est trop vide pour moi. Quand je vous quitte, je suis tellement seul que je ne me trouve plus moi-même. Cela m’a