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ÉDOUARD.

horreurs de la mort, j’aurais été heureux de ce souvenir. Ma nuit entière se passa dans d’affreuses agitations ; mon âme était entièrement bouleversée ; j’avais perdu jusqu’à cette vue distincte de mon devoir qui m’avait guidé jusqu’ici. Je me demandais pourquoi je n’épouserais pas madame de Nevers ; je cherchais des exemples qui pussent autoriser ma faiblesse ; je me disais que dans une profonde solitude j’oublierais le monde et le blâme ; que, s’il le fallait, je fuirais avec elle en Amérique, et jusque dans cette île déserte, objet de mes anciennes rêveries. Quel lieu du monde ne me paraîtrait pas un lieu de délices avec la compagne chérie de mes jours, mon amie, ma bien-aimée ? Natalie ! Natalie ! Je répétais son nom à demi-voix pour que ces deux sons vinssent charmer mon oreille, et calmer un peu mon cœur. Le jour parut, et peu d’instants après on me remit une lettre. Je reconnus l’écriture de madame de Nevers ; jugez de ce que je dus éprouver en la lisant. « Ne craignez pas mes reproches, Édouard, je ne vous en ferai point : je sais trop que je suis aussi coupable, et plus coupable que vous ; mais que cette leçon nous montre du moins l’abîme qui est ouvert sous nos pas ; il est encore temps de n’y point tomber. Plus tard, Édouard, cet abîme ensevelirait à la fois et notre bonheur et notre vertu. Ne trahissons pas les sentiments qui ont uni nos deux cœurs. C’est