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ÉDOUARD.

mais un abîme se creusait tout à coup entre nous deux : j’essayais de le franchir, et je me sentais retenu par une puissance invincible ; je luttais en vain ; je me consumais en efforts superflus ; je sortais épuisé, anéanti, de ce combat qui n’avait de réel que le mal qu’il me faisait, et la passion qui en était cause. Mystérieuse alliance de l’âme et du corps ! Qu’est-ce que cette enveloppe fragile qui obéit à une pensée, que le malheur détruit, et qu’une idée fait mourir ? Je sentais que je ne résisterais pas longtemps à ces cruelles souffrances. Madame de Nevers me montrait sans déguisement sa douleur et son inquiétude ; elle cherchait à adoucir mes peines sans pouvoir y parvenir ; sa tendresse ingénieuse me prouvait sans cesse qu’elle me préférait à tout. Elle, si brillante, si entourée, elle dédaignait tous les hommages, elle trouvait moyen de me montrer à chaque instant qu’elle préférait mon amour aux adorations de l’univers. Une reconnaissance passionnée venait se joindre à tous les autres sentiments de mon cœur, qui se concentraient tous en elle seule. Si j’avais pu lui donner ma vie ! mourir pour elle, pour qu’elle fût heureuse ! ajouter mes jours à ses jours, ma vie à sa vie ! Hélas ! je ne pouvais rien, et elle me donnait ce trésor inestimable de sa tendresse sans que je pusse lui rien donner en retour. Chaque jour la contrainte où je vivais, la dissimulation à laquelle j’étais forcé, me devenait