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ÉDOUARD.

En arrivant à l’hôtel d’Olonne, j’éprouvai un premier chagrin : madame de Nevers était sortie. Je parcourus ces grands salons déserts avec une profonde tristesse. Le souvenir de la mort de mon père se réveilla dans mon cœur. Je ne sais pourquoi cette maison semblait me présager de nouveaux malheurs. J’allai dans ma chambre : j’y retrouvai le portrait de madame de Nevers enfant ; sa vue me consola un peu, et je restai à le contempler jusqu’à l’heure du souper. Alors je descendis dans le salon ; je le trouvai plein de monde. Madame de Nevers faisait les honneurs de ce cercle avec sa grâce accoutumée, mais je ne sais quel nuage de tristesse couvrait son front. Quand elle m’aperçut, il se dissipa tout à coup. Magie de l’amour ! j’oubliai toutes mes peines ; je me sentis fier de ses succès, de l’admiration qu’on montrait pour elle ; si j’eusse pu lui ôter une nuance de ce rang qui nous séparait pour toujours, je n’y aurais pas consenti. En ce moment je jouissais de la voir au-dessus de tous, encore plus que je ne souhaitais de la posséder, et j’éprouvais pour elle un enivrement d’orgueil dont j’étais incapable pour moi-même. Si j’avais pu ainsi m’oublier toujours j’aurais été moins malheureux ; mais cela était impossible. Tout me froissait, tout blessait ma fierté : ce que j’enviais le plus dans une position élevée, c’est le repos que je me figurais qu’on devait y éprouver,