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ÉDOUARD.

que donne la passion ne saurait être détruit que par le changement de ceux qui l’éprouvent ; car la passion est plus forte que tous les malheurs qui ne viennent pas d’elle-même.

Cependant nous sentions la nécessité de nous distraire quelquefois de ces pensées douloureuses pour conserver la force de les supporter. Nous essayâmes de lire ensemble, de fixer sur d’autres objets que nous-mêmes nos idées et nos réflexions ; mais l’imagination préoccupée par l’amour ressemble à cette forêt enchantée que nous peint le Tasse, et dont toutes les issues ramenaient toujours dans le même lieu. La passion répond à tout, et tout ramène à elle. Si nous trouvions dans nos lectures quelques sentiments exprimés avec vérité, c’est qu’ils nous rappelaient les nôtres ; si les descriptions de la nature avaient quelque charme pour nous, c’est qu’elles retraçaient à nos cœurs l’image de la solitude où nous eussions voulu vivre. Je trouvais à madame de Nevers la beauté et la modestie de l’Ève de Milton, la tendresse de Juliette, et le dévouement d’Emma. La passion qui produit tous les fruits de la faiblesse est cependant ce qui met l’homme de niveau avec tout ce qui est grand, noble, élevé. Il nous semblait quelquefois que nous étions capables de tout ce que nous lisions de sublime ; rien ne nous étonnait, et l’idéal de la vie nous semblait l’état naturel de nos cœurs,