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ÉDOUARD.

bien à présent ce qui est au fond de nos cœurs ! ne nous voyons plus seuls. — Je vais vous quitter, lui dis-je, ne m’enviez pas cet instant de bonheur ; est-il donc déjà fini ? » L’enchantement d’être aimé suspendit en moi pour quelques jours toute espèce de réflexion ; j’étais devenu incapable d’en faire. Chacune des paroles de madame de Nevers s’était gravée dans mon souvenir, et y remplaçait mes propres pensées ; je les répétais sans cesse, et le même sentiment de bonheur les accompagnait toujours. J’oubliais tout : tout se perdait dans cette idée ravissante que j’étais aimé ; que nos deux cœurs s’étaient donnés l’un à l’autre en même temps ; que, malgré tous ses efforts, elle n’avait pu se détacher de moi ; qu’elle m’aimait ; qu’elle avait accepté mon amour ; que ma vie s’écoulerait près d’elle ; que la certitude d’être aimé me tiendrait lieu de tout bonheur. Je le croyais de bonne foi, et il me paraissait impossible que la félicité humaine pût aller au-delà de ce que madame de Nevers venait de me faire éprouver, lorsqu’elle m’avait dit que, même absente, son âme était errante autour de moi.

Cet enivrement aurait peut-être duré longtemps, si M. le maréchal d’Olonne, qui se plaisait à louer ceux qu’il aimait, n’eût voulu un soir faire mon éloge. Il parlait à quelques voisins qui avaient dîné à Faverange, et, quoique j’eusse essayé de sortir dès le commencement de la con-