Page:Duras - Ourika et Édouard, II.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
LE MARCHAND DE ZAMORA.

hommes hors de leurs projets, lui offrit, pour dernière ressource, une savonnette, un cuir et un rasoir. Le voilà d’abord fort abattu de sa mauvaise fortune, puis la supportant par l’habitude, ce correctif du malheur. Enfin, après avoir traversé beaucoup de villes, séjourné dans un grand nombre de villages, toujours sans joie, parce qu’il manquait de ce qui la donne, l’argent, il s’était arrêté là, où le hasard lui avait amené son frère et l’ancien ami de sa famille. C’était pour Fabrice son premier bonheur.

« Je fis monter les deux frères dans mon vieux carrosse. Leur caractère était si loyal, qu’un moment m’avait suffi pour l’apprécier. Nous prîmes la route de Zamora. Aussitôt arrivé, je les mis à la tête de mon commerce, où je les ai traités comme s’ils étaient mes enfants. Ils n’ont pas à s’en plaindre, car, depuis que le lieutenant-général et le médecin du roi se sont faits marchands, ils lèvent la tête, et, forts de leur travail, forts de leur indépendance, n’ayant rien à demander aux hommes ni aux événements, rien à souffrir de l’insolence d’un protecteur dont la faveur s’obtient, non par le mérite, mais par la bassesse, ils voient la fortune leur arriver de tous les côtés ; ils n’ont plus besoin, grâce au ciel, de courir après elle. Les voilà surtout bien convaincus que la vie est trop sérieuse pour la jouer sur une carte. »