quand je me vis ainsi seul avec elle. Je baissai les yeux, et je restai dans le silence. Ce fut elle qui le rompit. « À quelle heure partez vous demain ? me demanda-t-elle. — À cinq heures, répondis-je ; si je commençais ici la journée, je ne saurais plus comment partir. — Et quand reviendrez-vous ? dit-elle encore. — Il faut que j’exécute les volontés de mon père, répondis-je ; mais je crois que cela ne peut durer plus de quinze jours, et ces jours seront si longs que le temps ne me manquera pas pour les affaires. — Irez-vous en Forez ? demanda-t-elle. — Je le crois ; je compte revenir par là, mais sans m’y arrêter. — Ne désirez-vous donc pas revoir ce lieu ? me dit-elle ; on aime tant ceux où l’on a passé son enfance ! — Je ne sais ce qui m’est arrivé, lui dis-je ; mais il me semble que je n’ai plus de souvenirs. — Tâchez de les retrouver pour moi, dit-elle. Ne voulez-vous pas me raconter l’histoire de votre enfance et de votre jeunesse ? À présent que vous êtes le fils de mon père, je ne dois plus rien ignorer de vous. — J’ai tout oublié, lui dis-je ; il me semble que je n’ai commencé à vivre que depuis deux mois. » Elle se tut un instant ; puis elle me demanda si le monde avait donc si vite effacé le passé de ma mémoire. — Ah ! m’écriai-je, ce n’est pas le monde ! — Elle continua : — Je ne suis pas comme vous, dit-elle ; j’ai été élevée jusqu’à l’âge de sept ans chez ma grand mère, à Faverange,
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ÉDOUARD.