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ÉDOUARD.

de voir le monde dans cette ennuyeuse uniformité ; je suis frappé au contraire de ce que personne ne se ressemble. — C’est, dit-elle, que vous avez le temps d’y regarder ; mais quand on vient de Versailles en cinquante minutes, comment voulez-vous qu’on puisse voir autre chose que la superficie des objets ? — Mais quand c’est vous qu’on voit, lui dis-je, on devrait s’arrêter en chemin. — Voilà de la galanterie, dit-elle. — Ah ! m’écriai-je, vous savez bien le contraire ! » Elle ne répondit rien, et se mit à causer avec d’autres personnes. Je fus ému toute la soirée du souvenir de ce que j’avais dit ; il me semblait que tout le monde allait me deviner.

Le lendemain, mon père se trouva un peu souffrant ; nous devions dîner à l’hôtel d’Olonne, et, pour ne pas me priver d’un plaisir, il fit un effort sur lui-même et sortit. Jamais son esprit ne parut si libre et si brillant que ce jour-là. Plusieurs étrangers qui se trouvaient à ce dîner témoignèrent hautement leur admiration, et je les entendis qui disaient entre eux qu’un tel homme occuperait en Angleterre les premières places. La conversation se prolongea longtemps, enfin la société se dispersa ; mon père resta le dernier, et, en lui disant adieu, M. le maréchal d’Olonne lui fit promettre de revenir le lendemain. Le lendemain ! grand Dieu ! il n’y en avait plus pour lui. En traversant le vestibule mon père me dit : « Je