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ÉDOUARD.

m’en servir pour lui : ses formes étaient parfaites. Jamais il ne disait rien qui ne fût convenable et agréablement tourné ; mais aussi jamais rien d’involontaire ne trahissait qu’il eût dans l’âme autre chose que ce que l’éducation et l’usage du monde y avaient mis. Cet acquis était fort étendu, et comprenait tout ce qu’on ne croirait pas de son ressort. Le prince d’Enrichemont ne se serait jamais trompé sur le jugement qu’il fallait porter d’une belle action ou d’une grande faute ; mais, jusqu’à son admiration, tout était factice. Il savait les sentiments, il ne les éprouvait pas, et l’on restait froid devant sa passion et sérieux devant sa plaisanterie, parce que la vérité seule touche, et que le cœur méconnaît tout pouvoir qui n’émane pas de lui. Je préférais le duc de L., quoiqu’il eût mille défauts. Inconsidéré, moqueur, léger dans ses propos, imprudents dans ses plaisanteries, il aimait pourtant ce qui était bien, et sa physionomie exprimait avec fidélité les impressions qu’elle recevait ; mobile à l’excès, elles n’étaient pas de longue durée, mais enfin il avait une âme, et c’était assez pour comprendre celle des autres. On aurait cru qu’il prenait la vie pour un jour de fête, tant il se livrait à ses plaisirs ; toujours en mouvement, il mettait autant de prix à la rapidité de ses courses que s’il eût eu les affaires les plus importantes ; il arrivait toujours trop tard, et cependant il n’avait jamais mis que