Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
ÉDOUARD.

j’entrevis mon sort ; mais je ne vous dirai pas que je doutai un instant si je l’aimerais ; cet ange pénétra mon âme de toute part, et je ne m’étonnai point de ce qu’elle me faisait éprouver. Une émotion de bonheur inexprimable s’empara de moi ; je sentis s’évanouir l’ennui, le vide, l’inquiétude qui dévoraient mon cœur depuis si longtemps ; j’avais trouvé ce que je cherchais, et j’étais heureux. Ne me parlez ni de ma folie ni de mon imprudence ; je ne défends rien ; je paie de ma vie d’avoir osé l’aimer. Eh bien, je ne m’en repens pas ; j’ai au fond de mon âme un trésor de douleur et de délices que je conserverai jusqu’à la mort. Ma destinée m’a séparé d’elle ; je n’étais pas son égal, elle se fût abaissée en se donnant à moi : un souffle de blâme eût terni sa vie ; mais du moins je l’ai aimée comme nul autre que moi ne pouvait l’aimer, et je mourrai pour elle, puisque rien ne m’engage plus à vivre. Cette première journée que je passai avec elle, et qui devait être suivie de tant d’autres, a laissé comme une trace lumineuse dans mon souvenir. Elle s’occupa de mon père avec la grâce qu’elle met à tout ; elle voulait lui prouver qu’elle se souvenait de ce qu’il lui avait autrefois enseigné ; elle répétait les graves leçons de mon père, et le choix de ses expressions semblait en faire des pensées nouvelles. Mon père le remarqua, et parla du charme que les mots ajoutent aux idées. Tout a