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ÉDOUARD.

mon père aurait voulu me donner ; peut-être même la solitude habituelle où nous vivions avait-elle pour but de me préparer à être plus frappé du spectacle de la société qu’on ne l’est, lorsque graduellement on s’est familiarisé avec ses vices et ses ridicules, et qu’on arrive blasé sur l’impression qu’on en peut recevoir. Mon père voulait montrer le monde à mes yeux lorsqu’il se serait assuré que le goût du bien, la solidité des principes et la faculté de l’observation seraient assez mûris en moi pour retirer de ce spectacle le profit qu’il se plaisait à en attendre. Mon père avait été assez heureux dans sa jeunesse pour sauver dans un procès fameux la fortune et l’honneur du maréchal d’Olonne. Les rapports où les avait mis cette affaire avaient créé entre eux une amitié qui, depuis trente ans, ne s’était jamais démentie. Malgré des destinées si différentes, leur intimité était restée la même, tant il est vrai que la parité de l’âme est le seul lien réel de la vie. Une correspondance fréquente alimentait leur amitié. Il ne se passait pas de semaine que mon père ne reçût des lettres de M. le maréchal d’Olonne, et la plus intime confiance régnait entre eux. C’est dans cette maison que mon père comptait me mener quand j’aurais atteint ma vingtième année ; c’est là qu’il se flattait de me faire voir la bonne compagnie et de me faire acquérir ces qualités de l’esprit qu’il désirait tant que je pos-