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ÉDOUARD.

cette lumière terrible dans un seul point du paysage, la lune qui se levait derrière les sapins, et qui argentait à peine l’extrémité de leur feuillage, tout ce spectacle me ravissait. J’étais fixé sur cette plate-forme comme par l’effet d’un enchantement, et, quand on venait m’en tirer, on me réveillait comme d’un songe. Cependant je n’étais pas si étranger aux jeux de l’enfance que cette disposition pourrait le faire croire ; mais c’était surtout le danger qui me plaisait. Je gravissais les rochers les plus inaccessibles ; je grimpais sur les arbres les plus élevés ; je croyais toujours poursuivre je ne sais quel but que je n’avais encore pu atteindre, mais que je trouverais au-delà de ce qui m’était déjà connu ; je m’associais d’autres enfants dans mes entreprises ; mais j’étais leur chef, et je me plaisais à les surpasser en témérité. Souvent je leur défendais de me suivre, et ce sentiment du danger perdait tout son charme pour moi si je le voyais partagé. J’allais avoir quatorze ans ; mes études étaient fort avancées, mais je restais toujours au même point pour le fruit que je pouvais en tirer, et mon père désespérait d’éveiller en moi ce feu de l’âme sans lequel tout ce que l’esprit peut acquérir n’est qu’une richesse stérile, lorsqu’une circonstance, légère en apparence, vint faire vibrer cette corde cachée au fond de mon âme, et commença pour moi une existence nouvelle. J’ai