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ÉDOUARD.

sée, ma vie comme entraînées dans leur courant. On m’envoyait chercher ; je rentrais, je me mettais à l’étude sans humeur et sans dégoût ; mais on aurait dit que je vivais de deux vies, tant mes occupations et mes pensées étaient de nature différente. Mon père essayait quelquefois de me faire parler ; mais c’était ma mémoire seule qui lui répondait. Ma mère s’efforçait de pénétrer dans mon âme par la tendresse, je l’embrassais ; mais je sentais même dans ces douces caresses quelque chose d’incomplet dans mon âme. Mon père possédait au milieu des montagnes du Forez, entre Boën et Saint-Étienne, des forges et une maison. Nous allions chaque année passer à ces forges les deux mois des vacances. Ce temps désiré et savouré avec délices s’écoulait toujours trop vite. La position de ce lieu avait quelque beauté ; la rivière qui faisait aller la forge descendait d’un cours rapide, et souvent brisé par les rochers ; elle formait au-dessous de la forge une grande nappe d’eau plus tranquille ; puis elle se détournait brusquement, et disparaissait entre deux hautes montagnes recouvertes de sapins. La maison d’habitation était petite ; elle était située au-dessus de la forge, de l’autre côté du chemin, et placée à peu près au tiers de la hauteur de la montagne. Environnée d’une vieille forêt de sapins, elle ne possédait pour tout jardin qu’une petite plate-forme, dessinée avec