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ÉDOUARD.

aurait voulu qu’un peintre pût en conserver les traits. Lorsque le chirurgien prononça que mes blessures n’étaient pas mortelles, des larmes coulèrent des yeux d’Édouard. Il me pressa sur son cœur : Je serais mort deux fois, me dit-il. De ce jour, il ne me quitta plus ; je languis longtemps : ses soins ne se démentirent jamais ; ils prévenaient tous mes désirs. Édouard, toujours sérieux, cherchait pourtant à me distraire ; son esprit piquant amenait et faisait naître la plaisanterie : lui seul il restait étranger à cette gaîté qu’il avait excitée lui-même. Souvent il me faisait la lecture ; il devinait ce qui pouvait soulager mes maux. Je ne sais quoi de paisible, de tendre, se mêlait à ses soins, il avait ce dévouement, cette vertu touchante qui transporte dans ce que nous aimons, ce moi, source de toutes les misères de nos cœurs, quand nous ne le plaçons pas dans un autre. Édouard cependant gardait toujours sur lui-même ce silence qui m’avait longtemps affligé ; mais chaque jour diminuait ma curiosité, et maintenant je craignais bien plus de l’affliger que je ne désirais le connaître. Je le connaissais assez ; jamais un cœur plus noble, une âme plus élevée, un caractère plus aimable, ne s’étaient montrés à moi. L’élégance de ses manières et de son langage montrait qu’il avait vécu dans la meilleure compagnie. Le bon goût forme entre ceux qui le possèdent une sorte de lien qu’on ne