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ÉDOUARD.

du malheur ; je lui disais quelquefois : J’ignore votre vie, mais je connais votre cœur ; vous ne voulez pas me donner votre confiance, mais je n’en ai pas besoin pour vous aimer. Souffrir profondément appartient aux âmes distinguées, car les sentiments communs sont toujours superficiels. Édouard, lui dis-je un jour, est-il donc impossible de vous faire du bien ? Les larmes lui vinrent aux yeux. — Laissez-moi, me dit-il, je ne veux pas me rattacher à la vie. — Le lendemain nous attaquâmes un fort sur la Skulkill. S’étant mis à la tête d’une poignée de soldats, Édouard emporta la redoute l’épée à la main. Je le suivais de près ; je ne sais quel pressentiment me disait qu’il avait fixé ce jour-là pour trouver la mort qu’il semblait chercher. En effet, je le vis se jeter dans les rangs des soldats ennemis qui défendaient les ouvrages intérieurs du fort. Préoccupé de l’idée de garantir Édouard, je ne pensais pas à moi-même ; je reçus un coup de feu tiré de fort près, et qui lui était destiné. Nos gens arrivèrent, et parvinrent à nous dégager. Édouard me souleva dans ses bras, me porta dans le fort, banda ma blessure, et, soutenant ma tête, il attendit ainsi le chirurgien. Jamais je n’ai vu une physionomie exprimer si vivement des émotions si variées et si profondes ; la douleur, l’inquiétude, la reconnaissance, s’y peignaient avec tant de force et de fidélité, qu’on