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OURIKA.

jeta dans la gueule du lion pour sauver son fils, quel sentiment l’animait ? Ces frères, ces sœurs qui voulurent mourir ensemble sur l’échafaud, et qui priaient Dieu avant d’y monter, était-ce un amour coupable qui les unissait ? L’humanité seule ne produit-elle pas tous les jours des dévouements sublimes ? Pourquoi donc ne pourrais-je aimer ainsi Charles, le compagnon de mon enfance, le protecteur de ma jeunesse ?… Et cependant, je ne sais quelle voix crie au fond de moi-même, qu’on a raison, et que je suis criminelle. Grand Dieu ! je vais donc recevoir aussi le remords dans mon cœur désolé. Il faut qu’Ourika connaisse tous les genres d’amertume, qu’elle épuise toutes les douleurs ! Quoi ? mes larmes désormais seront coupables ! il me sera défendu de penser à lui ! quoi ! je n’oserai plus souffrir !

Ces affreuses pensées me jetèrent dans un accablement qui ressemblait à la mort. La même nuit, la fièvre me prit, et, en moins de trois jours, on désespéra de ma vie : le médecin déclara que, si l’on voulait me faire recevoir mes sacrements, il n’y avait pas un instant à perdre. On envoya chercher mon confesseur ; il était mort depuis peu de jours. Alors madame de B… fit avertir un prêtre de la paroisse ; il vint et m’administra l’extrême-onction, car j’étais hors d’état de recevoir le viatique ; je n’avais aucune con-