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OURIKA.

je vous aime depuis votre enfance, et je ne puis voir, sans une véritable peine, la mélancolie dans laquelle vous vous plongez. Est-il possible, avec l’esprit que vous avez, que vous ne sachiez tirer un meilleur parti de votre situation ? — L’esprit, madame, lui répondis-je, ne sert qu’à augmenter les maux véritables ; il les fait voir sous tant de formes diverses ! — Mais, reprit-elle, lorsque les maux sont sans remède, n’est-ce pas une folie de refuser de s’y soumettre, et de lutter ainsi contre la nécessité ? car enfin, nous ne sommes pas les plus forts. — Cela est vrai, dis-je, mais il me semble que, dans ce cas, la nécessité est un mal de plus. — Vous conviendrez pourtant, Ourika, que la raison conseille alors de se résigner et de se distraire. — Oui, madame, mais, pour se distraire, il faut entrevoir ailleurs l’espérance. — Vous pourriez du moins vous faire des goûts et des occupations pour remplir votre temps. — Ah ! madame, les goûts qu’on se fait, sont un effort, et ne sont pas un plaisir. — Mais, dit-elle encore, vous êtes remplie de talents. — Pour que les talents soient une ressource, madame, lui répondis-je, il faut se proposer un but ; mes talents seraient comme la fleur du poète anglais, qui perdait son parfum dans le désert. — Vous oubliez vos amis qui en jouiraient. — Je n’ai point d’amis, madame ; j’ai des protecteurs, et cela est bien dif-