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OURIKA.

chaque jour. Ce bonheur intérieur si paisible, ces liens de famille si doux ! cet amour dans l’innocence, toujours aussi tendre, aussi passionné ; quel spectacle pour une malheureuse destinée à passer sa triste vie dans l’isolement, à mourir sans avoir été aimée, sans avoir connu d’autres liens que ceux de la dépendance et de la pitié ! Les jours, les mois se passaient ainsi ; je ne prenais part à aucune conversation, j’avais abandonné tous mes talents. Si je supportais quelques lectures, c’était celles où je croyais retrouver la peinture imparfaite des chagrins qui me dévoraient. Je m’en faisais un nouveau poison, je m’enivrais de mes larmes ; et, seule dans ma chambre pendant des heures entières, je m’abandonnais à ma douleur. La naissance d’un fils mit le comble au bonheur de Charles ; il accourut pour me le dire, et dans les transports de sa joie je reconnus quelques accents de son ancienne confiance. Qu’ils me firent mal ! Hélas ! c’était la voix de l’ami que je n’avais plus ! et tous les souvenirs du passé venaient à cette voix déchirer de nouveau ma plaie. L’enfant de Charles était beau comme Anaïs ; le tableau de cette jeune mère avec son fils touchait tout le monde ; moi seule, par un sort bizarre, j’étais condamnée à le voir avec amertume ; mon cœur dévorait cette image d’un bonheur que je ne devais jamais connaître, et l’envie, comme le vau-