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OURIKA.

qu’elle n’avait encore fait. Je me sentis fléchir, je tombai sur les genoux, mes yeux se fermèrent, et je crus que j’allais mourir. En achevant ces paroles, l’oppression de la pauvre religieuse parut s’augmenter ; sa voix s’altéra, et quelques larmes coulèrent le long de ses joues flétries. Je voulus l’engager à suspendre son récit ; elle s’y refusa. Ce n’est rien, me dit-elle ; maintenant le chagrin ne dure pas dans mon cœur ; la racine en est coupée. Dieu a eu pitié de moi ; il m’a retirée lui-même de cet abîme où je n’étais tombée que faute de le connaître et de l’aimer. N’oubliez donc pas que je suis heureuse ; mais, hélas ! ajouta-t-elle, je ne l’étais pas alors. Jusqu’à l’époque dont je viens de vous parler, j’avais supporté mes peines ; elles avaient altéré ma santé, mais j’avais conservé ma raison et une sorte d’empire sur moi-même ; mon chagrin, comme le ver qui dévore le fruit, avait commencé par le cœur ; je portais dans mon sein le germe de la destruction, lorsque tout était encore plein de vie au dehors de moi. La conversation me plaisait, la discussion m’animait ; j’avais même conservé une sorte de gaîté d’esprit ; mais j’avais perdu les joies du cœur. Enfin, jusqu’à l’époque dont je viens de vous parler, j’étais plus forte que mes peines ; je sentais qu’à présent mes peines seraient plus fortes que moi. Charles me rapporta dans ses bras jusqu’à la maison :