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OURIKA.

était celle des chimères dont je me laissais obséder ! Vous ne m’aviez pas encore appris, ô mon Dieu ! à conjurer ces fantômes ; je ne savais pas qu’il n’y a de repos qu’en vous. À présent c’était dans le cœur de Charles que je cherchais un abri ; j’étais fière de son amitié, je l’étais encore plus de ses vertus ; je l’admirais comme ce que je connaissais de plus parfait sur la terre. J’avais cru autrefois aimer Charles comme un frère ; mais depuis que j’étais toujours souffrante, il me semblait que j’étais vieillie, et que ma tendresse pour lui ressemblait plutôt à celle d’une mère. Une mère, en effet, pouvait seule éprouver ce désir passionné de son bonheur, de ses succès ; j’aurais volontiers donné ma vie pour lui épargner un moment de peine. Je voyais bien avant lui l’impression qu’il produisait sur les autres ; il était assez heureux pour ne s’en pas soucier : c’est tout simple ; il n’avait rien à en redouter, rien ne lui avait donné cette inquiétude habituelle que j’éprouvais sur les pensées des autres ; tout était harmonie dans son sort, tout était désaccord dans le mien. Un matin, un ancien ami de madame de B. vint chez elle ; il était chargé d’une proposition de mariage pour Charles. Mademoiselle de Thémines était devenue, d’une manière bien cruelle, une riche héritière ; elle avait perdu le même jour, sur l’échafaud, sa famille entière ; il ne lui restait plus qu’une