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OURIKA.

de B., dont l’esprit juste et lumineux faisait admirablement ressortir les absurdités du pauvre abbé, qui ne se fâchait jamais ; elle jetait tout au travers de son ordre d’idées de grands traits de bon sens que nous comparions aux grands coups d’épée de Roland ou de Charlemagne. Madame de B. aimait à marcher ; elle se promenait tous les matins dans la forêt de Saint-Germain, donnant le bras à l’abbé ; Charles et moi nous la suivions de loin. C’est alors qu’il me parlait de tout ce qui l’occupait, de ses projets, de ses espérances, de ses idées sur tout, sur les choses, sur les hommes, sur les événements. Il ne me cachait rien, et il ne se doutait pas qu’il me confiât quelque chose. Depuis si longtemps il comptait sur moi, que mon amitié était pour lui comme sa vie, il en jouissait sans la sentir ; il ne me demandait ni intérêt ni attention ; il savait bien qu’en me parlant de lui, il me parlait de moi, et que j’étais plus lui que lui-même : charme d’une telle confiance, vous pouvez tout remplacer, remplacer le bonheur même ! Je ne pensais jamais à parler à Charles de ce qui m’avait fait tant souffrir ; je l’écoutais, et ses conversations avaient sur moi je ne sais quel effet magique, qui amenait l’oubli de mes peines. S’il m’eût questionnée, il m’en eût fait souvenir ; alors je lui aurais tout dit, mais il n’imaginait pas que j’avais aussi un secret. On était accoutumé à me voir souffrante ; et ma-