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OURIKA.

périr, lorsque la mort de Robespierre mit un terme à tant d’horreurs. On respira ; les gardes quittèrent la maison de madame de B., et nous restâmes tous quatre dans la même solitude, comme on se retrouve, j’imagine, après une grande calamité à laquelle on a échappé ensemble. On aurait cru que tous les liens s’étaient resserrés par le malheur : j’avais senti que là, du moins, je n’étais pas étrangère.

Si j’ai connu quelques instants doux dans ma vie, depuis la perte des illusions de mon enfance, c’est l’époque qui suivit ces temps désastreux. Madame de B. possédait au suprême degré ce qui fait le charme de la vie intérieure : indulgente et facile, on pouvait tout dire devant elle ; elle savait deviner ce que voulait dire ce qu’on avait dit. Jamais une interprétation sévère ou infidèle ne venait glacer la confiance ; les pensées passaient pour ce qu’elles valaient ; on n’était responsable de rien. Cette qualité eût fait le bonheur des amis de madame de B. quand bien même elle n’eût possédé que celle-là. Mais combien d’autres grâces n’avait-elle pas encore ! Jamais on ne sentait de vide ni d’ennui dans sa conversation ; tout lui servait d’aliment : l’intérêt qu’on prend aux petites choses, qui est de la futilité dans les personnes communes, est la source de mille plaisirs avec une personne distinguée ; car c’est le propre des esprits supérieurs