Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
OURIKA.

Ce qui restait de la société de madame de B. se dispersa, à cette époque ; les uns fuyaient les persécutions dans les pays étrangers ; les autres se cachaient et se retiraient en province. Madame de B. ne fit ni l’un ni l’autre ; elle était fixée chez elle par l’occupation constante de son cœur : elle resta avec un souvenir et près d’un tombeau. Nous vivions depuis quelques mois dans la solitude, lorsque, à la fin de l’année 1792, parut le décret de confiscation des biens des émigrés. Au milieu de ce désastre général, madame de B. n’aurait pas compté la perte de sa fortune, si elle n’eût appartenu à ses petits-fils ; mais, par des arrangements de famille, elle n’en avait que la jouissance. Elle se décida donc à faire revenir Charles, le plus jeune des deux frères, et à renvoyer l’aîné, âgé de près de vingt ans, à l’armée de Condé. Ils étaient alors en Italie, et achevaient ce grand voyage, entrepris deux ans auparavant dans des circonstances bien différentes. Charles arriva à Paris au commencement de février 1793, peu de temps après la mort du roi. Ce grand crime avait causé à madame de B. la plus violente douleur ; elle s’y livrait tout entière, et son âme était assez forte pour proportionner l’horreur du forfait à l’immensité du forfait même. Les grandes douleurs dans la vieillesse ont quelque chose de frappant : elles ont pour elles l’autorité de la raison. Madame de B. souffrait avec toute l’é-