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OURIKA.

me se nourrit, fait l’aliment habituel de ce triste plaisir.

L’espoir sitôt détruit que m’avait inspiré la révolution n’avait point changé la situation de mon âme ; toujours mécontente de mon sort, mes chagrins n’étaient adoucis que par la confiance et les bontés de madame de B. Quelquefois, au milieu de ces conversations politiques dont elle ne pouvait réussir à calmer l’aigreur, elle me regardait tristement : ce regard était un baume pour mon cœur ; il semblait me dire : Ourika, vous seule m’entendez ! On commençait à parler de la liberté des nègres : il était impossible que cette question ne me touchât vivement ; c’était une illusion que j’aimais encore à me faire, qu’ailleurs, du moins, j’avais des semblables : comme ils étaient malheureux, je les croyais bons, et je m’intéressais à leur sort. Hélas ! je fus promptement détrompée ! les massacres de Saint-Domingue me causèrent une douleur nouvelle et déchirante : jusqu’ici je m’étais affligée d’appartenir à une race proscrite ; maintenant j’avais honte d’appartenir à une race de barbares et d’assassins. Cependant la révolution faisait des progrès rapides ; on s’effrayait en voyant les hommes les plus violents s’emparer de toutes les places. Bientôt il parut que ces hommes étaient décidés à ne rien respecter : les affreuses journées du 20 juin et du 10 août durent préparer à tout.