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OURIKA.

percevais les ridicules de ces personnages qui voulaient maîtriser les événements ; je jugeais les petitesses de leurs caractères, je devinais leurs vues secrètes : bientôt leur fausse philanthropie cessa de m’abuser, et je renonçai à l’espérance, en voyant qu’il resterait encore assez de mépris pour moi au milieu de tant d’adversités. Cependant je m’intéressais toujours à ces discussions animées ; mais elles ne tardèrent pas à perdre ce qui faisait leur plus grand charme. Déjà le temps n’était plus où l’on ne songeait qu’à plaire, et où la première condition pour y réussir était l’oubli des succès de son amour-propre : lorsque la révolution cessa d’être une belle théorie et qu’elle toucha aux intérêts intimes de chacun, les conversations dégénérèrent en disputes, et l’aigreur, l’amertume et les personnalités prirent la place de la raison. Quelquefois, malgré ma tristesse, je m’amusais de toutes ces violentes opinions qui n’étaient au fond presque jamais que des prétentions, des affectations ou des peurs : mais la gaîté qui vient de l’observation des ridicules ne fait pas de bien ; il y a trop de malignité dans cette gaîté, pour qu’elle puisse réjouir le cœur qui ne se plaît que dans les joies innocentes. On peut avoir cette gaîté moqueuse, sans cesser d’être malheureux ; peut-être même le malheur rend-il plus susceptible de l’éprouver, car l’amertume dont l’â-