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OURIKA.

remua jusque dans leur source ; ils se rattachaient à ce qui avait occupé les esprits supérieurs de tous les temps. Rien n’était plus capable d’étendre et de former mes idées, que le spectacle de cette arène où des hommes distingués remettaient chaque jour en question tout ce qu’on avait pu croire jugé jusqu’alors. Ils approfondissaient tous les sujets, remontaient à l’origine de toutes les institutions ; mais trop souvent pour tout ébranler et pour tout détruire. Croiriez-vous que, jeune comme j’étais, étrangère à tous les intérêts de la société, nourrissant à part ma plaie secrète, la révolution apporta un changement dans mes idées, fit naître dans mon cœur quelques espérances, et suspendit un moment mes maux ? tant on cherche vite ce qui peut consoler ! J’entrevis donc que, dans ce grand désordre, je pourrais trouver ma place ; que toutes les fortunes renversées, tous les rangs confondus, tous les préjugés évanouis, amèneraient peut-être un état de choses où je serais moins étrangère ; et que si j’avais quelque supériorité d’âme, quelque qualité cachée, on l’apprécierait lorsque ma couleur ne m’isolerait plus au milieu du monde, comme elle avait fait jusqu’alors. Mais il arriva que ces qualités mêmes que je pouvais me trouver, s’opposèrent vite à mon illusion : je ne pus désirer longtemps beaucoup de mal pour un peu de bien personnel. D’un autre côté, j’a-