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OURIKA.

objets. Depuis que je me sentais étrangère à tout, j’étais devenue plus difficile, et j’examinais, en le critiquant, presque tout ce qui m’avait plu jusqu’alors. Cette disposition ne pouvait échapper à madame de B. ; je n’ai jamais su si elle en devina la cause. Elle craignait peut-être d’exalter ma peine en me permettant de la confier : mais elle me montrait encore plus de bonté que de coutume ; elle me parlait avec un entier abandon, et, pour me distraire de mes chagrins, elle m’occupait de ceux qu’elle avait elle-même. Elle jugeait bien mon cœur ; je ne pouvais en effet me rattacher à la vie que par l’idée d’être nécessaire ou du moins utile à ma bienfaitrice. La pensée qui me poursuivait le plus, c’est que j’étais isolée sur la terre, et que je pouvais mourir sans laisser de regrets dans le cœur de personne. J’étais injuste pour madame de B. ; elle m’aimait, elle me l’avait assez prouvé ; mais elle avait des intérêts qui passaient bien avant moi. Je n’enviais pas sa tendresse à ses petits-fils, surtout à Charles ; mais j’aurais voulu pouvoir dire comme eux : Ma mère ! Les liens de famille surtout me faisaient faire des retours bien douloureux sur moi-même, moi qui jamais ne devais être la sœur, la femme, la mère de personne ! Je me figurais dans ces liens plus de douceur qu’ils n’en ont peut-être, et je négligeais ceux qui m’étaient permis, parce que je ne pouvais atteindre à ceux-