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OURIKA.

changement ; on me questionna : je dis que j’étais malade ; on le crut. Madame de B. envoya chercher Barthez, qui m’examina avec soin, me tâta le pouls, et dit brusquement que je n’avais rien. Madame de B. se rassura, et essaya de me distraire et de m’amuser. Je n’ose dire combien j’étais ingrate pour ces soins de ma bienfaitrice ; mon âme s’était comme resserrée en elle-même. Les bienfaits qui sont doux à recevoir, sont ceux dont le cœur s’acquitte : le mien était rempli d’un sentiment trop amer pour se répandre au dehors. Des combinaisons infinies des mêmes pensées occupaient tout mon temps ; elles se reproduisaient sous mille formes différentes ; mon imagination leur prêtait les couleurs les plus sombres : souvent mes nuits entières se passaient à pleurer. J’épuisais ma pitié sur moi-même ; ma figure me faisait horreur, je n’osais plus me regarder dans une glace ; lorsque mes yeux se portaient sur mes mains noires, je croyais voir celles d’un singe ; je m’exagérais ma laideur, et cette couleur me paraissait comme le signe de ma réprobation ; c’est elle qui me séparait de tous les êtres de mon espèce, qui me condamnait à être seule, toujours seule ! jamais aimée ! Un homme, à prix d’argent, consentirait peut-être que ses enfants fussent nègres ! Tout mon sang se soulevait d’indignation à cette pensée. J’eus un moment l’idée de demander à madame de B. de me renvoyer dans