Page:Duras - Ourika et Édouard, I.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
OURIKA.

bienfait de savoir par le désir d’ignorer, et la fable ne nous dit pas si Galatée trouva le bonheur après avoir reçu la vie. Je ne sus que longtemps après l’histoire des premiers jours de mon enfance. Mes plus anciens souvenirs ne me retracent que le salon de madame de B. ; j’y passais ma vie, aimée d’elle, caressée, gâtée par tous ses amis, accablée de présents, vantée, exaltée comme l’enfant le plus spirituel et le plus aimable. Le ton de cette société était l’engouement, mais un engouement dont le bon goût savait exclure tout ce qui ressemblait à l’exagération : on louait tout ce qui prêtait à la louange, on excusait tout ce qui prêtait au blâme, et souvent, par une adresse encore plus aimable, on transformait en qualités les défauts mêmes. Le succès donne du courage ; on valait près de madame de B. tout ce qu’on peut valoir, et peut-être un peu plus, car elle prêtait quelque chose d’elle à ses amis sans s’en douter elle-même : en la voyant, en l’écoutant, on croyait lui ressembler. Vêtue à l’orientale, assise aux pieds de madame de B., j’écoutais, sans la comprendre encore, la conversation des hommes les plus distingués de ce temps-là. Je n’avais rien de la turbulence des enfants ; j’étais pensive avant de penser, j’étais heureuse à côté de madame de B. : aimer, pour moi, c’était être là, c’était entendre, lui obéir, la regarder surtout : je ne