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ÉDOUARD.

son souvenir ; le souvenir de ce qu’elle était il y a six mois ! Livré à ces pensées douloureuses, je me rappelais les rêveries de ma jeunesse, de ce temps où je n’étais l’inférieur de personne. Entouré de mes égaux, pensai-je, je n’avais pas besoin de soumettre mon instinct à l’examen de ma raison ; j’étais bien sûr de n’être pas inconvenable, ce mot créé pour désigner des torts qui n’en sont pas. Ah ! ce malaise affreux que j’éprouve, je ne le sentais pas avec mes pauvres parents ; mais je ne le sentais pas non plus il y a six mois quand madame de Nevers me regardait avec douceur, quand elle me faisait raconter ma vie, et qu’elle me disait que j’étais le fils de son père. Avec elle, je retrouverais tout ce qui me manque. Qu’ai-je donc fait ? en quoi l’ai-je offensée ? Le jeu était fini ; M. le maréchal d’Olonne s’approcha de moi et me dit : — Certainement, Édouard, vous n’êtes pas bien ; depuis quelques jours vous êtes fort changé, et ce soir vous avez l’air tout à fait malade. Je l’assurai que je me portais bien, et je regardai madame de Nevers ; elle venait de se retourner pour parler à quelqu’un. Si j’eusse pu croire qu’elle savait que je souffrais pour elle, j’aurais été moins malheureux. Les jours suivants, je crus remarquer un peu plus de bonté dans ses regards, un peu moins de sérieux dans ses manières ; mais elle sortait toujours presque tous les soirs, et,