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prit Aristide, viendra la culbute à une seule main, et ensuite sans mettre les mains. Tu vois la gradation. Avec la gradation, on fait tout ce que l’on veut. Le saut périlleux, c’est une culbute sans mettre les mains, en donnant un coup de reins.

— C’est bien sûr, dit Perrin, quand je saurai, nous la ferons chez toi ?

— Oui, dit Aristide, mais il faut de la persévérance. Si au bout de huit jours tu vas changer comme une girouette !

— Oh ! dit Perrin, scandalisé qu’on doutât de lui.

— Il faudra d’abord, ajouta Aristide, faire deux cents culbutes par jour au moins. Il faut de la volonté. Sans la volonté, l’empereur n’aurait pas été empereur.

— C’est vrai, dit Perrin, l’empereur ! »

Le lendemain de cette conversation, le domestique Jean et la cuisinière furent prévenus des grands exercices d’étude qu’allait entreprendre M. Perrin. Vers dix heures du matin ils entendirent des cris singuliers et coururent à une petite pelouse, où ils trouvèrent les deux compagnons.

Perrin avait débuté par une quinzaine de culbutes assez heureusement exécutées, mais il s’était fatigué de ce travail épouvantable et contraire aux vertèbres du cou. Il n’accomplissait plus sa tâche qu’avec une lenteur pénible et douloureuse. On voyait sa tête apparaître, puis descendre, et en place s’élever un fond de culotte grotesque, qui roulait à son tour et disparaissait ; on entendait un coup sourd et une plainte. Aristide, sans pitié pour la sueur qui coulait du front de son ami, le forçait à continuer, en lui donnant, chaque fois qu’il accomplissait sa révolution sur lui-même, de grands coups de pied dans le derrière, en criant « Mais va donc, lourdaud ! » Il le tirait aussi par les jambes ou par la tête, mais le meilleur aiguillon, c’étaient les coups de pied. Perrin retombait lourdement sur le nez ou sur le dos, seulement sa conscience l’empêchait de renoncer.

À la fin, Aristide, le bourrant de toute sa force, lui fit faire la culbute malgré lui, sans s’inquiéter de ses cris et de ses gigotements désolés. « Tu en as deux cents à faire, lui criait-il, grand lâche ! c’est pour ton bien ! » Le domestique et la cuisinière riaient si fort qu’Aristide comprit son propre comi-