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pensait-il déjà à réconcilier les deux femmes et à les diriger toutes deux ensuite.

Madame Gérard était donc au fort de cette lutte vers le mois de mai ; elle menait grand train une loterie de bienfaisance et rassemblait des patronnesses pour l’exposition d’horticulture au profit des indigents. Or, il n’y avait ni horticulture ni indigents à Villevieille, mais, à force de génie, on pouvait créer l’un et l’autre. Le curé et le président succombaient à la tâche, surtout le président, à la fois conseiller archéologique, charitable et juridique.

À tout cela se joignait un procès qu’avait Pierre Gérard avec un de ses voisins ; et encore ne peut-on guère prétendre que Pierre eût ce procès, car il avait dit : « Cela regarde ma femme et Moreau. » Et c’était, en effet, madame Gérard qui avait soulevé le litige.

La propriété des Tournelles s’arrêtait à cinquante mètres environ d’un petit ruisseau de campagne, très clair, très joyeux, qui coulait dans un pré. Un sentier étroit séparait ce pré, appartenant au voisin Seurot, ancien boulanger, du pré de Pierre Gérard, mais bizarrement, sans raison topographique. Les gens qui venaient pour la première fois aux Tournelles croyaient que cette eau en dépendait, et ne manquaient jamais de dire aux Gérard : « Que vous êtes heureux d’avoir de l’eau !  » et le ruisseau coulait pour le voisin ! Ce refrain agaçait madame Gérard, qui était furieuse d’être complimentée sur l’eau qu’elle n’avait pas. Une terrible envie d’avoir le ruisseau la tourmentait. Pierre avait l’idée fixe que, d’après la configuration naturelle, la propriété avait dû s’étendre jusqu’au delà du ruisseau ou au moins jusqu’au ruisseau même. Aristide s’amusait à y jeter de temps en temps un sien ami, nommé Perrin, qui était sa victime, dans l’espérance de le faire rosser par le voisin comme violateur de son bien. Les domestiques y remplissaient furtivement leurs seaux ; enfin, toutes les têtes de la maison avaient l’air de danser autour du ruisseau, comme les mouches autour d’un morceau de sucre.

Madame Gérard, toujours acharnée à agir, fouilla, pendant deux jours de suite, tous les papiers de famille. On aurait dit le travail d’une taupe ou de quelque autre animal fouisseur.