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Ce baiser fut une action imprudente, car une sensation étrange et nouvelle se logea dans leur cœur, pour ne plus leur laisser de repos. La fièvre et le trouble s’emparèrent d’eux, et les consumèrent désormais de préoccupations âcres, qui dominèrent l’idée du mariage et qui devaient pour ainsi dire être punies plus tard.

« Vous m’avez fait bien peur pendant un moment, dit Émile.

— Comment cela ?

— J’ai cru que tout était fini, que vous ne vouliez pas : cela me donnait la même angoisse que lorsqu’on se sent tomber de haut.

— Oh ! dit Henriette, j’avais bien pensé au mariage, de mon côté, dès que je vous ai vu ; mais, aujourd’hui, vous aviez l’air de parler d’une autre !

— J’étais si embarrassé que je ne savais comment m’y prendre

— Et pourquoi ?

— Je craignais de vous déplaire.

— Ah ! Dieu ! je ne pouvais pas me douter que vous aviez cette pensée-là : moi qui attendais avec tant d’impatience que vous vous expliquiez… Mais pourquoi craindre de m’être désagréable ? »

Émile rougit et hésita à répondre.

« Pourquoi ? dites-moi, » répéta Henriette avec sa douceur la plus douce, qui était comme une clef avec laquelle elle ouvrait tous les secrets du jeune homme.

« Eh bien, dit-il avec un peu d’embarras, je ne suis pas grand’chose : je n’ai qu’une petite place à la sous-préfecture.

— Petite ou grande ! dit Henriette, sans vous, que serais-je devenue ? On ne sauve pas plus complétement quelqu’un qui se noie que vous ne me sauvez en voulant bien m’épouser. Je n’ai jamais pensé un seul instant que vous pouviez être riche ou point riche, quand vous vous exposez pour venir me trouver et me faire passer les meilleurs moments de ma vie… »

Émile lui baisa la main pour la remercier : il n’avait pas de paroles !