Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si seulement il avait fait nuit, Émile aurait tout dit d’un seul trait. Au grand jour, il se défiait de sa contenance.

Henriette n’osait lui demander plus de détails, et elle chercha à les obtenir par des feintes subtiles.

« Est-ce bien sûr ? dit-elle ; je ne crois pas que je vous occupe autant ; ce serait une grande présomption de ma part de m’imaginer que vous dites la vérité. »

Cette petite coquetterie artificieuse peina Émile, qui crut sérieusement qu’on ne le jugeait pas sincère.

Il avait l’air d’un suppliant en répondant :

« Si, vraiment, je vous assure que je pensais à vous.

— Je vous en remercie, » dit Henriette presque haletante. Sa respiration était suspendue par le désir d’entendre le reste.

Mais Émile se livrait de grandes batailles pour se forcer à en dire davantage, et, comme le combat resta indécis, la conversation s’arrêta là ; le même mortel silence redevint le maître.

« Est-ce que votre mère vous a encore parlé de… ? dit Henriette, sans terminer sa phrase.

— De… ? demanda Émile, feignant de ne pas comprendre.

— De nous, dit Henriette.

— Oui, » reprit le jeune homme d’un air grave qui promettait de grandes révélations.

Henriette ne fit pas d’autre question.

« Oui !… répéta Émile en soupirant fortement.

— Est-ce qu’elle… est mécontente ? dit la jeune fille.

— Oh ! non, s’écria Émile, qui venait de trouver un canal, tortueux comme les strette de Venise, pour s’expliquer, et qui allait se lancer là-dedans avec joie. Non, ma mère avait pensé à me marier depuis quelque temps. »

Henriette reçut un choc dans son cœur, qui devint cruellement agité, car elle ne s’attendait pas à ce que ces pensées de mariage vinssent tout à coup au jour, et, comme elle ne savait pas bien ce qui se passait en son nouvel ami, elle eut peur d’une mauvaise nouvelle.

— Oui, reprit Émile, ma mère dit qu’il faut se marier, qu’il y a de grands avantages à cela, surtout en province. En se mariant jeune, on peut toujours s’aimer. L’avenir d’un jeune