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La face verdâtre, le cou penché du vieillard qui avait l’air d’être mort, cette débilité, cette maigreur, cette laideur, lui donnèrent un dégoût qui remplaça la colère.

Cependant à l’étage au-dessous on avait entendu ces cris, ces bruits. Madame Gérard, Pierre et Aristide, montèrent et trouvèrent Henriette au milieu de la chambre, avec la corbeille entre ses deux mains, prête à briser le crâne de son mari, dans son exaltation sauvage, à ce qu’il paraissait.

« Mais tu l’as tué ! s’écria madame Gérard effrayée en voyant Mathéus étendu sur le parquet.

— Eh non, malheureusement ! s’écria Henriette d’une voix encore plus violente. — Que venez-vous faire ici ? Sortez ! Je suis chez moi. Vous pensez que ce n’est pas assez d’avoir tué Émile ! vous voulez que j’en tue encore un !

— Mais ne laisse pas ton mari !… dit Pierre.

— Si ! je le laisse. Ah ! vantez-vous de ce mariage, réjouissez-vous de votre ouvrage ! Ah ! stupide et faible que je suis ! je n’ai seulement pas su avoir plus de constance que vous tous ; je me suis laissé honteusement duper, et c’est la vie d’Émile qui tenait au bout de vos mensonges et j’en avais le pressentiment, je vous avais devinés, mais j’ai manqué de courage ! Oh ! dire que j’ai succombé devant les germons ridicules de cet abbé et de ce juge qui est votre amant à vous ! » s’écria-t-elle en s’adressant à sa mère, qui recula devant son bras étendu.

« J’aurais donné, continua-t-elle avec la même fureur inapaisable, toutes vos têtes pour qu’il n’arrivât rien à son petit doigt, à lui, à Émile ! Je vous connaissais pourtant ! J’ai toujours eu un profond mépris pour vous tous, mais je ne pouvais vous croire assez cruels pour faire mourir… Car enfin que lui avez-vous donc fait que j’aie ignoré ? Je pensais qu’il m’oubliait, et il est mort à cause de ma misérable faiblesse ! Partez tous, je vous défends de mettre les pieds dans cette chambre. Je suis libre, je suis mariée, eh bien, j’en profiterai contre vous pour vous châtier. Vous avez espéré partager la fortune de ce vieillard imbécile, vous n’aurez pas un sou de cette fortune, dusse-je plutôt la dissiper. Votre mai-