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Les deux mariniers débarquèrent près du pont de Villevieille.

« Nous avons bonne pêche, dirent-ils, nous avons trouvé un noyé ! »

Aussitôt cinq ou six hommes du port descendirent la berge pour aller voir. Des femmes accoururent, puis remontèrent sur le quai, criant à leurs voisines :

« Un noyé ! un noyé ! »

Les gens quittèrent leurs maisons pour venir regarder le corps, qui était étendu raide au milieu du bateau. Il y eut quatre-vingts personnes en une demi-heure.

« Sait-on ce que c’est ? se demandait-on les uns aux autres.

— C’est le petit Germain, de la sous préfecture, le fils à madame Germain. Pauvre jeune homme ! On dit qu’il s’est jeté à l’eau exprès. Quel âge a-t-il ? Quelle pitié, se détruire ! »

Ces exclamations sortaient du rassemblement curieux et consterné à la fois.

« C’est pour la petite Gérard qu’il s’est tué ! disaient tout bas quelques-uns.

— Il l’aimait donc bien ! » répondaient d’autres.

D’autres encore, plus émus, se taisaient. Quelques-uns semblaient stupidifiés. Des jeunes filles se glissaient en riant parmi les hommes, qui se rangeaient.

Le secrétaire de la mairie, prévenu par un des mariniers, arriva important, avec un cahier sous le bras, et fendit la foule, dont les yeux se suspendaient à lui.

« Mettez-le dans une charrette, cria-t-il, et conduisez-le chez la mère.

— Il faudrait la prévenir d’avance, dit une mère compatissante, ça pourrait lui faire une révolution !

— Eh bien ! reprit le secrétaire, je vais y aller ; déposez le corps dans un caveau de la mairie en attendant. »

Il griffonna un ordre pour le portier et le remit aux mariniers.

« Vous viendrez vous faire inscrire demain au matin », ajouta-t-il en s’adressant aux deux hommes ; et il s’éloigna vers la rue Sandouix.