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Henriette saisit une plume avec un air d’impatience :

« Eh ! non, Monsieur, dit-elle, nous savons ce que nous devons faire. » Elle lui prit le papier des mains et signa.

« Mais il y a un ordre à suivre, criait le notaire, petit homme sec, mince et noir, à figure de fouine et de bedeau mêlés.

— Nous voilà enchaînés ! dit Mathéus, gai, épanoui et grotesquement gênant à regarder dans son bonheur.

— Ah ! vous y avez mis de la persistance ! répondit Henriette ; vous devez être en effet satisfait !

— Votre mère, et vous surtout, devriez me permettre de vous embrasser sur le front ! continua-t-il ; c’est une prière très humble que je vous fais !

— Oh ! mon Dieu ! dit-elle, je sais à quoi je suis destinée ! ainsi vous pouvez bien m’embrasser, si cela vous fait plaisir. »

Elle lui présenta froidement son front ; mais quand les lèvres du vieillard la touchèrent, son visage eut une expression de dégoût.

Mathéus ne la quittait pas des yeux ; il parlait moins, il était moins complimenteur, mais il avait la physionomie d’un avare qui voit arriver des tonnes d’or dans sa cave. L’avidité de l’amour était moulée dans tous ses traits ; ses yeux brillaient, toujours fixés vers une personne unique. Il donnait des poignées de main à tout le monde, sans regarder les gens, et répondait aux questions sans savoir ce qu’il disait.

Il avait été convenu que le vieillard passerait la nuit aux Tournelles, où ses voitures devaient arriver vers huit heures, le soir. Il se retira dans l’après-midi pour s’occuper de ses arrangements, qui étaient compliqués.

« Eh bien ! Baptiste, dit-il à son valet de chambre, que dites-vous de votre maîtresse ?

— Elle est bien jeune.

— Tant mieux !

— Si elle aime Monsieur, il n’y a pas de mal, dit le domestique.

— Puisqu’elle est ma femme ! » s’écria Mathéus.