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continuait à saccager les arbres avec des sifflements furieux, la pluie retentissait sur les vitres.

La nuit était affreusement noire, mais tous les aspects physiques qui peuvent refouler un être humain au fond de sa maison, quand la terreur, le froid, l’obscurité, ce qu’il y a de pire dans les éléments, se réunissent pour l’emprisonner, n’arrêtaient pas la jeune fille, qui ne pouvait s’empêcher de dire toutefois par moments :

« Quel temps horrible ! »

Elle se glissa dans le corridor, écoutant ce qui se passait dans toutes les chambres ; tout le monde dormait. Elle arriva au vestibule, tira la porte à elle, fit un pas sur le perron, mais recula.

La pluie était fouettée horizontalement et arrivait comme si on eût jeté des pelletées d’eau ; le vent soufflait avec tant de violence qu’il aveuglait et qu’il brisait les oreilles. Henriette hésita devant cette tourmente et cette immensité de noir qui s’étendait de toutes parts ; le ciel lui-même était à peine imperceptiblement plus clair que la terre.

« Enfin, se dit-elle, il ne me reprochera pas d’être timide ! »

Elle descendit les marches et s’élança en courant jusque sous les arbres de l’allée tournante. Ce trajet dura une seconde, et elle avait déjà marché dans des mares ; ses souliers étaient transpercés, son châle traversé, le bas de sa robe et de ses jupons, alourdis par l’eau, se collait à ses jambes !

Henriette atteignit la grille, à côté de laquelle se trouvait une porte plus petite qu’on ouvrait en dedans ; elle sortit sur le chemin de ronde ; sous les arbres du bois on n’y voyait plus rien, mais on était un peu protégé contre la pluie. Elle crut prendre le sentier qui conduisait à la route de Villevieille et le suivit vivement, quoiqu’elle glissât à chaque pas et sentît une boue épaisse se coller à ses souliers. Au bout de cinq minutes, la jeune fille s’aperçut qu’elle se trompait ; elle calcula alors qu’en traversant le massif dans un certain sens elle retrouverait la route ; elle quitta le sentier, tâtonnant avec ses mains pour se garer des plus jeunes arbres, dont les branches lui cinglaient la figure.