Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du matin, ouvrir les portes et faire sonner la grille du parc.

Elle regardait de quart d’heure en quart d’heure à la pendule, et se sentait venir la fièvre. Elle avait préparé là-haut un humble petit paquet, pareil à celui que portent sur leur dos les paysans en voyage ; dans ce paquet étaient un peu de linge, une robe, des livres, deux petits pots, une miniature, une boîte à gants, des souliers noirs à petits talons, deux voiles de dentelles, un choix de choses utiles et des objets auxquels Henriette tenait le plus.

Le temps parut long et court à la fois à la jeune fille. Enfin, à dix heures et demie, on alla prendre les bougeoirs. Henriette embrassa son père et sa mère et serra la main à Aristide, ce qui ne lui était pas arrivé depuis six mois.

Elle laissa d’abord sa porte entr’ouverte et écouta si des bruits de voix sortaient des chambres voisines. À onze heures, tout devint parfaitement silencieux. Elle ouvrit la fenêtre et se pencha pour reconnaître si sa mère avait éteint sa bougie. Aucune lumière ne brillait dans la façade. Cependant la jeune fille eut l’idée que madame Gérard ferait peut-être une ronde. Sans fermer sa porte, elle plaça une chaise contre le battant pour le maintenir poussé autant que possible ; elle souffla sa lumière et se glissa tout habillée dans son lit. Vers onze heures et demie, il lui sembla en effet entendre marcher à pas de loup dans le couloir. Elle se mit à respirer plus fort et régulièrement, comme une personne qui dort, et resta au moins un quart d’heure dans son lit sans bouger.

Alors elle se releva, ralluma sa bougie, plaça des albums devant, afin que la lueur en fût masquée du côté de la porte et du côté de la fenêtre ; puis rapidement elle prit une petite robe de mérinos, son chapeau, un châle de laine, à cause de la pluie ; dans ses poches elle mit un flacon, un éventail, une bourse contenant mille francs environ, et elle chercha des bottines un peu fortes pour pouvoir marcher sur le terrain détrempé ; elle ne les trouva pas, s’impatienta, crut reconnaître qu’on remuait chez sa mère, remit ses petits souliers minces, éteignit de nouveau la bougie, colla son oreille à la porte ; des ronflements sonores s’élevaient partout, le vent