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les coups de piston d’une machine à vapeur, entretenant la sensation dans toute sa force et la rendant plus aiguë à chaque renouvellement.

La poitrine subit physiquement le contre-coup des dilatations de la joie ou des compressions douloureuses.

À mi-chemin, Émile n’eut pas le courage d’avancer davantage ; il revint vers la maison, murmurant :

« Elle va se marier ! elle va se marier ! »

Il repassait tout ce qu’il avait espéré, tout ce qu’il voulait faire pour cette jeune fille ingrate, son bonheur d’avoir aimé, cet élan de tendresse, cette grandeur de cœur dont il se sentait animé envers elle, qu’elle avait dédaignés, méconnus ; et il n’y eut de soulagement pour lui qu’à penser à se tuer.

« C’est mon seul refuge, dit-il, c’est ma seule manière d’être compris par elle. Et quelle vie mènerai-je, d’ailleurs, toujours destiné à ne pas réussir ? Une fois débarrassé de la vie, je ne sentirai plus tous ces troubles. Elle en aura un souvenir éternel. Depuis que j’ai connu cette fille, je n’ai point fait un pas sans qu’il m’arrive un accident quelconque. J’en ai assez… Ma mère ! oui, ce sera cruel pour elle. Ceux qui restent… Bah ! pour ce à quoi je lui sers !… Je me tuerai le jour où Henriette se mariera. »

Il se sentit moins triste, comme tout homme qui veut se tuer : « ses maux n’étaient plus sans remède. »

Il passa la journée à écrire des testaments, et se dit : « Encore deux jours, et je serai fort heureux ! »

Il se montra d’une humeur très égale, très empressé pour sa mère, mangea, causa d’avenir, de projets, et, le lendemain, il alla reconnaître à la rivière un bon endroit.

Ce lendemain était le 16, Henriette comptait s’échapper pendant la nuit.

Le temps fut pluvieux, il ne vint personne, pas même Mathéus. La maison semblait se recueillir dans le silence et le repos, avant de laisser sortir de ses flancs, le 18, cette bande de femmes à belles robes et d’hommes en noir, ces voitures, ces chevaux, ces laquais, tous les harnais de noces, le bruit, le mouvement, la pompe.