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trouver et lui rire au nez, moi-méme le premier… Ah ! il sera heureux, son mari ! Il l’aura à lui tout seul !

— Elle peut être très vertueuse par la suite, dit madame Germain.

— Cette créature !… Sa maison sera une caserne ! Ah ! que j’ai été niais de croire à ce mariage. Si j’avais été comme tout le monde, est-ce que je n’aurais pas pu voir cent fois si elle est bien faite ou non, et ensuite l’envoyer promener. Que dirait-elle à présent, si j’avais eu cet esprit-là ? Lequel de nous deux pourrait se vanter d’avoir été adroit ? Je ne l’ai pas voulu, parce que j’ai imaginé qu’elle valait la peine d’être respectée. Oh ! ces coquetteries, ces sensibleries, pour finir par épouser un vieux coquin qui est très riche, c’est épouvantable ! »

Ces paroles étaient prononcées avec un accent impétueux et embrouillé, mêlé de larmes refoulées et de ricanements très amers.

Madame Germain secouait la tête :

« Cela ne t’empêchera pas, j’espère, de rentrer au bureau. Ton avenir est là.

— Ah ! s’écria Émile en sortant, j’ai de vous tous par-dessus la tête !

— Cette maudite fille t’a perdu, cria aussi la mère ; je souhaite qu’elle soit à jamais malheureuse ! »

Le sens et la patience de madame Germain échouaient souvent contre les écueils que présentait l’irritabilité de son fils.

Émile resta abîmé un moment dans une contemplation incertaine, entendant tous les bruits du dehors avec une perspicacité particulière, et remarquant, comme un enfant, dans la cuisine, une foule de petits objets qui s’emparaient de ses yeux et de son esprit.

Il se leva.

« L’air me fera du bien, dit-il.

Émile prit un sentier derrière la maison, entre des vignes, des champs de blé, et s’éloigna vers un côteau boisé.

La souffrance et la joie reposent sur deux ou trois pensées qui, à peine épuisées, se renouvellent incessamment, comme