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affiches, placées sous un petit grillage, ne pouvaient se lire facilement. Ses yeux, agités comme son cœur, montaient et descendaient, sans s’arrêter, sur les lignes imprimées ; il ne vit pas la moitié de l’amené, et par conséquent il ne vit pas l’annonce concernant Henriette. Il n’osait pas recommencer une seconde lecture plus calme, de peur de détruire le faible grain d’espérance qu’il conservait encore. Mais, fascinés, ses yeux impitoyables s’arrêtèrent sur un petit espace couvert de caractères noircis qui sembla grandir énormément, absorber toute la feuille et présenter bientôt des lettres immenses.

Il lut et relut peut-être vingt fois l’annonce, comme un idiot, ne pouvant mettre deux idées d’accord et de suite ; puis tout à coup il haussa lentement les épaules et murmura : « C’est tout simple, je devais m’y attendre ! »

Sa première pensée claire fut celle du sort toujours contraire, du malheur fatal ! Elle le conduisait à un désespoir tranquille, raisonné et sans retour.

Il revint très lentement, se disant avec cette même amertume implacable :

« Henriette a bien fait, elle n’a pas été si bête que moi ! »

Mais ce calme qu’il s’imposait d’abord fut aussi impuissant à arrêter les débordements d’un esprit désespéré que sont impuissants à arrêter les envahissements de la mer ces matelas, ces couvertures dont on se sert pour boucher les trous dans un navire éventré par un écueil et en péril de naufrage.

L’eau soulève à plusieurs reprises ces obstacles, les imbibe et les balaye ensuite.

Émile rentra chez sa mère et alla la trouver dans sa cuisine.

« On vient, lui dit-il en souriant, comme un malade qui se tord dans les souffrances, on vient de publier les bans de mariage de mademoiselle Marie-Jeanne-Henriette Gérard des Tournelles avec M. Jean-Louis-Pierre-Maximilien Mathéus de la Charmeraye, propriétaire ! »

Il s’assit aussi naturellement qu’il put ; il ne tenait plus sur ses jambes.