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Ces couleurs voyantes tracassèrent l’œil de Mathéus et de madame Gérard.

« Que faites-vous là ? » demanda le vieillard gracieusement. Il espérait vaguement quelque bonnet grec à son adresse.

Henriette hésita à lui mettre sous le nez les cinq redoutables lettres du nom d’Émile, elle retourna adroitement la bourse et répondit :

« C’est pour quelqu’un ! »

Mathéus pouvait se figurer que le petit chiffon bariolé lui était destiné.

Par moments Henriette remettait les lettres en évidence, mais quand on ne pouvait au juste les distinguer.

Madame Gérard désira en avoir le cœur net ; elle lui prit la bourse des mains en disant :

« Cela me paraît joli ! »

Elle vit le nom d’Émile : ses traits changèrent, et elle rendit silencieusement l’ouvrage à sa fille.

Elle ne fut plus occupée qu’à empêcher Henriette de travailler, afin que Mathéus n’eût pas le désappointement de reconnaître ce nom, effrayant pour lui comme les mots lumineux du festin de Balthasar.

Henriette fut froide toute la soirée pour le vieux homme, elle parut agitée. Au moment de se coucher, quand elle fut seule, la jeune fille jeta subitement la petite bourse à terre avec violence et s’écria : « Mais que fait-il donc ? il n’a donc pas assez d’esprit pour me donner signe de vie ? Ah ! si j’étais homme, moi ! Il faudra donc que j’aille le retrouver ou bien ne suis-je pas absurde de tant supporter d’ennuis à cause de lui ? » Ensuite, elle eut envie de pleurer, mais sa fierté servit de digue aux larmes. Elle ne voulut pas pleurer pour un homme qui peut-être ne pensait plus à elle.

Les jours passaient comme la foudre.

Le 14, la maison fut remplie par les marchands qui apportaient les dernières étoffes et lingeries du trousseau. Henriette les entendait entrer et sortir. On mettait tout dans la cham-