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suis revenue de la Charmeraye, je n’y retournerai pas. »

Pierre était aux Tournelles quand sa femme et sa fille revinrent. Il ne put se fâcher de ce qu’elles fussent allées chez Mathéus, mais leur absence avait singulièrement gâté sa cérémonie. À ce moment la brillante charrue, toute dépomponnée, était sous le hangar, honteuse, délaissée, parmi les vieux outils et de vieux harnais, en attendant son sort, car Pierre devait l’envoyer au concours du comice, en septembre ou octobre.

Le soir on fit le récit des splendeurs de la Charmeraye à ceux qui ne les connaissaient pas. Henriette les vanta elle-même, ayant ainsi l’audace de braver sa propre détresse. Elle se jugeait tellement sûre, à cette heure-là, d’échapper au mariage, qu’elle jouait avec cette idée et s’amusait à se faire passer pour convertie. Par instinct plus que par raisonnement, et pour avoir quitté la Charmeraye sans qu’aucun accident l’y eût retenue, elle concluait que la destinée était pour elle et ne voulait pas qu’elle épousât Mathéus.

Madame Gérard, Mathéus, Pierre, tous ceux qui la virent et l’entendirent, la crurent donc enfin vaincue et ramenée, et on tint conciliabule devant elle pour fixer le grand jour.

« Nous sommes le 10, dit madame Gérard, on peut arrêter cela pour le 18 ; en huit jours nous aurons tout le temps de nous préparer. La corbeille et le trousseau seront prêts le 14, et d’ailleurs, ajouta-t-elle en riant, puisque les conjoints se conviennent, il est inutile de les faire attendre. »

Madame Gérard pensait que la Charmeraye avait séduit sa fille par ses échantillons de la vie splendide ; mais Henriette, lorsqu’on fixa le jour de son mariage, ne savait si elle devait rire aux éclats d’une illusion si ridicule de tout ce monde, ou s’incliner terrassée, brisée devant une confiance et une volonté si nettes, si imperturbables.

Ce n’était point une menace vague suspendue sur sa tête, et dont l’accomplissement n’avait pas de terme marqué, mais un danger déterminé dont l’heure était indiquée, une condamnation rendue et signifiée.

Toute la nuit elle réfléchit. Que devait-elle faire ? Attendre encore jusqu’au dernier moment ? Mais, si elle n’avait pas la