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qu’en tout cas elle ne suivrait pas le cortège, ne voulant pas avoir l’air d’un carnaval. Ce mot blessa Pierre, qui répondit « Allez au diable ! » devant les douze personnes qui étaient là.

Madame Gérard, à son tour irritée, répliqua dédaigneusement :

« C’est de si mauvais goût, tout cet étalage ! »

Elle eut le tact de ne pas sortir des bornes comme lui !

« Nous irons par la route, ajouta-t-elle.

— Eh bien ! en marche alors, nous autres ! » fit Pierre, qui se mit en tête de nouveau, flanqué d’Aristide et de Corbie.

Les joueurs de musette reprirent leurs espèces de monosyllabes harmoniques, les bœufs firent sonner leurs grelots, et, au bout de trois minutes, ces bruits aigres et comme sautillants s’éteignirent dans le bois.

Madame Gérard et Henriette sortirent alors sur la route pour aller rejoindre « ces messieurs » à la Friche.

« Qu’est-ce que c’est que cette charrue ? » demanda Henriette.

« Ce n’est pas lui qui l’a inventée », pensa madame Gérard, tandis qu’elle répondait :

« C’est une invention très belle, si on peut l’exploiter, et il faut beaucoup d’argent pour monter en grand la fabrication. M. Mathéus sera bien utile…

— Ah ! dit la jeune fille n’est-ce pas sa voiture qui vient là-bas ?

— Non, dit madame Gérard regardant au loin une calèche à deux chevaux qui descendait rapidement une côte de la route, il n’a pas deux domestiques.

— Je crois bien que c’est la sienne ! »

Le doute ne fut pas long à éclaircir. Une voiture élégante, découverte, à caisse lilas un peu clair, traînée par deux chevaux alezans, approcha. Mathéus et madame Baudouin, qui étaient dedans, firent une exclamation. Le cocher arrêta.

La livrée, la voiture, l’attelage, étaient une livrée, une voiture, un attelage, que Mathéus avait entendu vanter par Henriette et qu’il avait aussitôt adoptés. Il avait pris deux valets de pied en outre. Autrefois il se contentait d’un cocher.

« Où alliez-vous donc ? s’écria madame Baudouin.